Crise post-électorale en Côte d'Ivoire: approche analytique

Publié le par Jean-François CURTIS

Alassane OUATTARA et Laurent GBAGBO

Alassane OUATTARA et Laurent GBAGBO

Quatre ans après la crise post-électorale (décembre 2010 à avril 2011) qui a secoué la Côte d'Ivoire (CI), nous partageons avec vous sans prétention aucune, notre approche analytique et comparative des méthodes et stratégies employées par les deux protagonistes du moment (Les présidents Gbagbo et Ouattara). Le constat est tout de même édifiant: aucune analyse de ce type ne semble avoir été réalisée et mise à la disposition du public depuis 2011. Comment une crise aussi meurtrière (plus de 4000 morts) et éprouvante (1 million de déplacés) a-t-elle pu ne faire l'objet d'aucune analyse des méthodes et stratégies employées par les deux camps? Notre analyse est purement technique et vise à éclairer le néophyte quant aux multiples facettes d'une crise post-éléctorale. Nous n'avons aucun parti pris et surtout nous ne cherchons aucunement à discréditer un acteur plus qu'un autre. Au contraire, cette analyse est capitale pour rappeler à nos dirigeants et aux lecteurs, combien la paix est fragile et combien il est vital de capitaliser sur les leçons apprises suite à un tel cataclysme socio-politique. A l'aube d'élections présidentielles sur le continent africain et l'histoire étant têtue, il est de notre devoir de citoyen, de modestement contribuer à la réflexion sur la stabilisation de la Côte d'Ivoire, stabilisation post-crise, dont les leçons pourraient servir à d'autres pays.

L'analyse des méthodes utilisées par les deux protagonistes de cette crise, nous guide vers cinq types de stratégies ayant toutes pour but ultime la victoire stratégique :

1/ La stratégie d'influence (informationelle, psychologique et idéologique)

Président GBAGBO Président OUATTARA
Guerre informationnelle et psychologique marquée par la censure de médias proches de l’opposition et internationaux, brouillages d’onde, interdiction à la diffusion, désinformation à grande échelle, sabotage de médias, propagande d’agitation, matraquage médiatique, campagnes de diabolisation et falsification de l’image. Guerre informationnelle et psychologique basée sur la mise en place fulgurante de médias modernes (TCI, radio et Internet), maîtrise des médias internationaux en faveur du président élu, lobbying médiatique, contre-information pour contrer la désinformation adverse, propagande sociologique ou d’adhésion, autocensure des rédactions pro-opposition, valorisation sémantique autour de la solidarité et de l’illégalité du président sortant.
Promotion du panafricanisme et éxacerbation du sentiment anti-blanc en prétextant une lutte contre le néocolonialisme et contre l’impérialisme occidental. Appel à la révolution contre le régime dictatorial du président sortant à l’instar des pays arabes. Appel à la désobéissance du fait du caractère illégal des annonces faites par le président sortant.

 

Observations: Les deux adversaires semblaient rivaliser d’ingéniosité, quant à l’utilisation de l’information à des fins militaires et/ou psychologiques. Il ressort cependant que le dispositif mis en place par le président sortant, demeurait d’une efficacité redoutable tant l’opinion au niveau de ses partisans se renforçait. Le président élu quant à lui, utilisait des méthodes modernes visant davantage à déstabiliser le dispositif adverse à travers la conquête de l’opinion publique. La conséquence de cette lutte était globalement, le désarroi des populations quant à savoir où se situait la vérité et spécifiquement la consolidation des positions des partisans de chaque protagoniste.

L’argument relatif au néocolonialisme ainsi que l'instrumentalisation du sentiment "anti-blanc" furent efficaces, pour mobiliser certains partisans et a permis de développer un sentiment de patriotisme exacerbé. De plus cela a contribué sans équivoque, au rejet des « autres » (étrangers). Concernant une probable révolution à l’ivoirienne, elle n'a pas eu lieu du fait même de la typologie de notre crise qui ne ressemblait en rien, à celle des pays arabes durant cette période de printemps arabe! Cependant, la stratégie d'influence a donc été efficacement utilisée par les deux protagonistes pour avoir l'ascendant psychologique.

2/ La stratégie économique et financière

Président GBAGBO Président OUATTARA
Lutte économique et financière basée sur la réquisition et la nationalisation de banques internationales et sous régionales, création d’une monnaie nationale, priorité au paiement des salaires des fonctionnaires, circulation de faux billets de CFA. Prise de contrôle par l`Etat de la filière cacao Lutte économique et financière reposant sur l’asphyxie financière en privant le président sortant de ressources financières, fermeture provisoire de banques, adhésion de la BCEAO et de la CEDEAO au plan du président élu, soutien international fort à travers les sanctions financières et l’embargo général sur la CI notamment sur le cacao et le café.
Soutien financier de pays alliés au président sortant, tel que l'Angola. Gel des financements de la CI par les institutions internationales (BM, FMI etc.) et gel des avoirs financiers du président sortant

 

Observations: La lutte économique et financière semblait davantage dans ses aspects techniques, réussir au président élu car les sanctions retenues contre le président sortant et la Côte d'Ivoire en général, ont porté leurs fruits. En effet, l’économie ivoirienne ne s’est jamais portée aussi mal, le système financier quant à lui était sclérosé. Les dommages collatéraux ont frappé la population, sans qu'elle n'ai été la cible directe, desdites sanctions économiques et financières. La sous-région a elle aussi, subi les conséquences de ces dispositions contraignantes. Enfin, les populations démunies ont payé le prix fort. Ceci étant dit, le Président GBAGBO a réussi à mettre en place un dispositif financier qui lui permettait de payer les salaires des fonctionnaires et de maintenir un précaire équilibre financier.

3/ La stratégie sociale et religieuse

Président GBAGBO Président OUATTARA
Fracture sociale reposant sur l’accroissement de la misère et de la précarité pour forcer les populations à accuser l’adversaire et exacerbation du nationalisme Fracture sociale marquée par l’appel à la désobéissance sociale ainsi qu’à la grève générale
Exacerbation des différences communautaires, visant à stigmatiser des communautés étrangères. Climat de délation permanente Valorisation des différences communautaires et discours sur la cohésion. La richesse culturelle est promue.
Immixtion de la religion dans le débat politique provoquant une fracture sociale. Sentiment religieux servant de prétexte à la lutte contre le « complot international », message religieux à caractère illuminé et extrémiste. Victimisation de la communauté musulmane comme étant menacée par le président sortant.

 

Observations: La cohésion sociale a été mise à mal du fait de cette lutte postélectorale qui divisait les ivoiriens entre pro-Gbagbo, pro-Ouattara et neutres. Le climat de délation a exacerbeé les antagonismes. L’instrumentalisation de la religion et spécifiquement « l’appel permanent à Dieu », a montré le caractère extrémiste de certaines positions. Plusieurs communautés ont été visées par des miliciens, qui se livraient à des actes de vandalisme voir plus graves. Ces faits ont causé un exode massif des étrangers vers leur pays d’origine. Techniquement, les arguments relatifs à la religion, le néocolonialisme et le « blanc » ont eu des effets dévastateurs mais limités dans le temps car peu crédibles. La désobéissance a quant à elle eu un impact mitigé sur l’activité économique et professionnelle, qui fut perturbée.

4/ La stratégie militaire

Président GBAGBO Président OUATTARA
Stigmatisation de l’ONUCI et de la force française "Licorne" comme force de déstabilisation Menace d’usage de la force pour "déloger" le président sortant par la CEDEAO
Main mise sur les râteliers des camps militaires. Requête de renfort de l’ONUCI en hommes et matériels.
Mobilisation de milices et groupes d’auto défense dans la lutte contre le complot international. Mobilisation de la galaxie patriotique (jeunes patriotes) pour s’enrôler chez les Forces de Défense et de Sécurité (FDS). Mise à disposition des Forces Républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI) auprès du président élu. Ces forces étaient constituées d'éléments des FAFN ainsi que d'éléments FDS qui ont fait allégeance.
Adhésion de certains membres des FDS à la cause du président sortant. Dissidence encouragée au sein des FDS par le président élu.
Déploiement général des FDS loyales au président sortant dans la zone sud et à Abidjan. Concentration des FDS sur Abidjan pour mener la « bataille ultime ». Retranchement de GBAGBO et de ses partisans dans la résidence de Cocody pour mener une guerre d’usure. Déploiement général des FRCI sur l’ensemble de la zone de confiance et combats jusqu’à Abidjan (bataille d’Abidjan sur 7 jours). Les Forces Impartiales et spécifiquement la Force Licorne ont contribué sur la base de la résolution 1575 de l’ONU à neutraliser les armements lourds.
Attaques de communes pro-opposition et développement de guérilla urbaines dans ces localités. Choix de la guerre d’usure pour saper le moral de l’adversaire. Conflit asymétrique visant à mener des actions sporadiques de guérilla urbaines notamment sur des points névralgiques.
Tueries et pillages perpétrés pour saper le moral des partisans du président élu (civils tués dans les communes pro-RHDP). Les Forces de Défense et de Sécurité Impartiales de CI (FDSICI ou Commando invisible) n’ont pas véritablement de revendication politique mais œuvre dans la même direction que les FRCI (objectif faire capituler GBAGBO).

 

Observations: Les conflits dans l’ouest du pays et la guérilla urbaine à Abidjan ont fait plus d'un million de déplacés et réfugiés. Le décompte macabre officielle quant à lui dépasse les 4000 morts . Ces chiffres mettent en exergue le caractère violent de la crise postélectorale. Le fort caractère asymétrique des combats à Abidjan, a démontré la complexité du théâtre des opérations pour les FDS qui plus que jamais, étaient divisées sur les ordres à exécuter. Le climat d’insécurité était galopant notamment avec la circulation des armes légères et de petits calibres du fait de cette crise. L’enrôlement et la mobilisation des jeunes "patriotes", a fait transparaître une faiblesse majeure du côté du Président sortant, qui semble-t-il ne pouvait vraiment plus compter sur la loyauté des FDS dans leur ensemble. Les FDSICI ont constitué une troisième force militaire, protagoniste dans cette crise postélectorale, avec les FRCI et les FDS.

5/ La stratégie diplomatique

Président GBAGBO Président OUATTARA
Riposte diplomatique du président sortant en rompant les relations avec certains représentants de chancelleries étrangères. Isolement diplomatique marquée par l’interdiction de visa au président sortant et à certains de ses proches.
Mise en avant des consuls honoraires pour la délivrance des visas d’entrer en CI depuis la France. Adhésion de la communauté internationale à travers l’ONU au résultat du scrutin présidentiel en manifestant son soutien et en maintenant des relations diplomatiques avec le président élu. De façon officielle, la CEDEAO, l’UA et l’ONU soutienne clairement et sans ambiguïté le PR élu.
Appui officieux de quelques pays africains au PR sortant notamment l’Angola. Obtention de la contestation internationale relativement à l’attitude du président sortant.

 

Observations: Les relations diplomatiques dans leur grande majorité se sont exécutées avec le président élu. Ce fut un désaveu de la communauté internationale vis-à-vis du président sortant qui a cependant reçu des soutiens officieux et officiels. "L'arme diplomatique" fut d'une efficacité incontestable, pour asseoir une légitimité internationale de part et d'autre.

 

En conclusion, la Côte d'Ivoire est donc un véritable cas d'étude, quant au mode opératoire que deux protagonistes peuvent suivre pour asseoir leur légitimité électorale. Cet exemple, nous a démontré comment plusieurs stratégies, peuvent être mises en oeuvre concomittament dans un contexte de crise. L'objectif ultime étant la victoire d'un protagoniste sur l'autre. Le vrai défi pour la Côte d'Ivoire demeure son processus de stabilisation post-crise qui, sur certains points est une réussite (environnement des affaires, économie, etc.) et sur d'autres nécessite une reconsidération ou carrément une prise en compte effective (réconciliation, etc.). Cette analyse nous a aussi montré, combien il est difficile pour l'ONU de garantir des éléctions incontestables même lorsqu'elle est impliquée dans la sécurisation d'un processus électoral. L'ONU gagnerait donc, sur la base de l'exemple ivoirien, à revoir sa stratégie de sécurisation et d'accompagnement des éléctions, ainsi que son rôle de garant d'une légitimité issue des urnes.

 

 

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